Arbitrage au Maroc: « Il est temps de rectifier le tir » (Khalid Zaher)

Arbitrage au Maroc: « Il est temps de rectifier le tir » (Khalid Zaher)

Publié le : - Auteur : Medias24.com

Exequatur et procédure contradictoire; clause compromissoire… sont les points névralgiques de l’avenir de l’arbitrage au Maroc. Le Pr Khalid Zaher, Professeur de droit, arbitre, conseil et membre la commission chargée de rédiger le projet de Code l’arbitrage, répond à nos questions.

Médias24: Si vous deviez faire un bilan, en quelques mots, de l’évolution de l’arbitrage au Maroc, que vous diriez-vous ?

Khalid Zaher: En réalité, la loi 08-05 devait marquer un tournant en alignant enfin le cadre réglementaire de l’arbitrage au Maroc sur les standards internationaux, particulièrement en matière d’arbitrage international. Il n’en fut rien. La question de l’exequatur, point névralgique de l’arbitrage, le montre amplement.

Le Code de procédure civile de 1974 qui constituait le cadre légal de l’arbitrage au Maroc jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi 08-05 n’exigeait nullement la procédure contradictoire lors de l’exequatur. Les juges marocains devaient donc statuer sur la demande d’exécution en l’absence des parties.

La Cour de cassation marocaine, à l’époque appelée Cour Suprême, avait clairement affirmé dans son fameux arrêt du 7 juillet 1992 que le principe du contradictoire était exclu en matière d’exequatur. De surcroît, sous l’empire de l’ancienne loi, l’action en annulation de la sentence n’était pas possible. Dès lors, l’exécution effective des sentences arbitrales intervenait dans un temps raisonnable.
Après la promulgation de la loi 08-05, qui s’inspire en grande partie de la loi-type de la CNUDCI et du droit français, la pratique judiciaire de l’arbitrage au Maroc a connu certaines déviances en négligeant l’une des raisons fondamentales pour laquelle les opérateurs du commerce international optent pour l’arbitrage à savoir la célérité.
En effet, soumettre un litige à l’arbitrage, c’est vouloir d’abord et avant tout échapper aux lourdeurs inhérentes à la justice étatique afin d’obtenir rapidement une décision exécutoire. Or, en instaurant une procédure contradictoire lors des actions en exequatur des sentences arbitrales, qu’elles soient internes ou internationales, les juges marocains ont vidé la réglementation de l’arbitrage de tout son intérêt.
Ceci est d’autant plus vrai que la loi 08-05 n’impose nullement la procédure du contradictoire et que le droit français qui l’inspire exclut cette dernière devant le juge de l’exequatur. La raison en est que la partie qui prétend que la sentence arbitrale a été rendue en violation de ses droits sera toujours en mesure de former une action en annulation de ladite sentence dans le cadre d’une procédure contradictoire.
La cohérence de cette position ne souffre aucune contestation. Et pour cause : il serait malvenu qu’une partie, ayant succombé devant les arbitres, puisse soulever un certain nombre de griefs devant le juge de l’exequatur dans le cadre d’une procédure contradictoire, avant de reformuler plus tard les mêmes griefs, cette fois-ci, devant le juge de l’annulation, toujours dans le cadre d’une procédure contradictoire ! Cette pratique, initiée et instaurée par les juridictions de Casablanca, retarde considérablement l’exécution effective de la sentence arbitrale au mépris des droits des parties et vide, en conséquence, le recours à l’arbitrage de tout son intérêt. Il va sans dire que cette pratique n’est pas de nature à encourager les investisseurs ni à les rassurer faute d’efficience de l’arbitrage.

Cette pratique du contradictoire, oeuvre purement jurisprudentielle, est appelée à être consacrée par le législateur. En effet, le projet de Code de l’arbitrage traduit en actes législatifs une pratique instaurée par les juges au mépris des règles élémentaires de l’arbitrage et des standards internationaux en la matière. Il est encore temps de rectifier le tir en supprimant le contradictoire devant le juge de l’exequatur.

Au vu de ce qui précède, il n’est nullement exagéré d’affirmer que l’évolution de la pratique marocaine de l’arbitrage est plutôt négative.

– Y a-t-il réellement des apports ?

-Les apports de la loi 08-05 sont incontestables. Pour la première fois, toute une section a été dédiée à l’arbitrage international qui, lui, n’était pas expressément réglementé par le Code de procédure civile de 1974.

L’État et les collectivités publiques peuvent désormais recourir à l’arbitrage, le législateur les y a expressément autorisés. La mention manuscrite comme condition de validité de la clause compromissoire dans les contrats commerciaux a été supprimée. Toutes ces évolutions constituent autant d’avancées significatives en matière d’arbitrage.

Il n’en demeure pas moins que la pratique judiciaire, lorsque l’esprit de la législation est mal assimilé, est susceptible de remettre en cause les acquis législatifs en vidant ces derniers de tout leur sens.

– Au final, peut-on dire que l’arbitrage joue un rôle important dans l’attractivité de Casablanca et du Maroc pour les investisseurs étrangers?

-Casablanca est immanquablement appelée à devenir une place phare de l’arbitrage en Afrique.

Le cadre réglementaire de l’arbitrage au Maroc, avec une bonne pratique judiciaire axée notamment sur la souplesse des procédures, est de nature à favoriser cette attractivité. De même, l’émergence d’un certain nombre de centres d’arbitrage comme le Centre International de Médiation et d’Arbitrage de Casablanca (CIMAC) sous l’impulsion du Casablanca Finance City est appelée à jouer un rôle majeur qui fait du Maroc, et notamment de sa capitale économique, une place particulièrement attractive pour les investisseurs étrangers.

– Malgré un cadre réglementaire et législatif favorable, les exequaturs peuvent parfois être difficiles à obtenir. Est-il vrai que les juges de l’exequatur peuvent réexaminer le dossier après un arbitrage en bonne et due forme et contester la sentence arbitrale ?

-Il est vrai que la convocation des parties à l’audience de l’exequatur sous couvert du respect du principe du contradictoire prolonge de manière déraisonnable l’exécution effective de la sentence arbitrale pour les raisons évoquées plus haut. Néanmoins, il faut se garder d’affirmer que l’exécution au Maroc des sentences arbitrales est impossible à obtenir. L’exequatur est accordée dans la majorité des cas.

Cependant, certains juges de l’exequatur, pas toujours au fait de la pratique de l’arbitrage international et de ses techniques, très différentes au passage de celles ayant cours dans l’arbitrage interne, peuvent être enclins à rediscuter, au stade de l’exécution, des principes considérés partout dans le monde comme indiscutables et indiscutés. L’exemple le plus illustratif est celui de l’extension de la clause compromissoire à une partie non-signataire.

Lorsqu’une société-mère par exemple se comporte comme une véritable partie en négociant et en exécutant un contrat sans signer ce dernier, les arbitres internationaux la considèrent en toute logique comme une partie audit contrat et ce bien qu’elle ne l’ait pas signé. La négociation et l’exécution ou le début d’exécution suffisent à matérialiser son consentement aux yeux des arbitres internationaux.
Il y a là un principe incontestable de l’arbitrage commercial international. Or, dans le dessein d’échapper à ses responsabilités, la société-mère tentera devant le juge marocain de l’exequatur de rediscuter dans le détail la phase de négociation, d’exécution voire même, ce qui est absurde, le montant des dommages-intérêts accordé par les arbitres.

En acceptant de rediscuter ces différents points, le juge marocain de l’exequatur procède, peut-être inconsciemment, à un réexamen du fond de la sentence arbitrale formellement interdit.
Dans d’autres cas, la partie ayant succombé devant les arbitres prétendra que ces derniers n’ont pas correctement appliqué ou interprété la loi applicable au contrat. Or, la manière dont les arbitres appliquent et interprètent la loi échappe complètement au contrôle du juge de l’exequatur. Il y a là encore un principe incontestable de l’arbitrage commercial international.

En acceptant de rediscuter la façon dont les arbitres ont appliqué la loi ou les règles de droit applicables, ce qui est rarement le cas, le juge de l’exequatur participe bon gré mal gré à un réexamen du fond de la sentence interdit par la loi car nuisible à la pratique de l’arbitrage commercial international.

Ces deux exemples illustrent à merveille les pratiques judiciaires qui répugnent les investisseurs étrangers et, partant, affectent l’attractivité du Maroc.

 

Par : RédactionMedias24

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