Le Roi appelle à rendre “effective” la mise en œuvre des modes alternatifs de règlement des litiges, une question qu’il lie au développement de l’investissement au Maroc. Sollicités par Médias24, des praticiens analysent les raisons et le contexte de cette sortie royale, qui n’est pas la première en la matière.
« Renforcer la confiance » des investisseurs par « la mise en œuvre effective des mécanismes de médiation et d’arbitrage ». La sphère juridique n’a pas raté ce passage du dernier discours royal, prononcé le 14 octobre en ouverture de l’année législative.
Le Souverain se penche une nouvelle fois sur la question des modes alternatifs de règlement des litiges, le pendant et le complément « privé » de la Justice étatique. Le lien est établi entre la promotion de l’investissement, priorité de l’exercice en cours (avec l’eau), et le développement de ce domaine qui tarde à prendre son envol au Maroc.
En 2009 déjà (56e anniversaire de la Révolution du Roi et du peuple), le Souverain soulignait « l’importance de développer » les mêmes mécanismes. Des directives réitérées dix ans plus tard à l’occasion de la Conférence internationale de la justice, tenue en 2019 à Marrakech.
Deux faits majeurs viennent imprégner la nouvelle directive :
– D’abord, l’entrée en vigueur, en juin dernier, du Code de l’arbitrage et de la médiation conventionnelle.
– Ensuite, l’arrêt de la Cour de cassation marocaine sur le conflit Five FCB/Ynna Holding, dossier emblématique en matière d’arbitrage international.
Si, cette fois-ci, le Roi parle de « mise en œuvre effective », c’est que malgré ses précédents appels, l’arbitrage, la médiation ou encore la conciliation peinent à s’installer comme réflexe dans une société de plus en plus contentieuse.
Abordé par le prisme de l’arbitrage international, le problème prend toute son ampleur. Portés sur ces mécanismes censés offrir célérité et moindre coût, des investisseurs se heurtent au fait lorsqu’il est question d’exécuter, ici au Maroc, des sentences arbitrales rendues à l’étranger.
Médias24 a sollicité le témoignage de trois praticiens. Me Ahmed Hussein, Me Kawtar Jalal et Me Mahmoud Hassen nous disent en quoi les modes alternatifs de règlement des litiges sont consubstantiels à la question de l’investissement. Et le chemin qui reste à parcourir pour leur développement au Royaume.
Me Ahmed Hussein, avocat au barreau de Casablanca et arbitre auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
On connaît encore aujourd’hui certaines dérives sur le coût des procédures, le non-respect de la confidentialité, la négligence du respect de la protection du consommateur
« L’évocation des modes alternatifs de règlement des litiges (MARL) dans le discours Royal vient confirmer deux nécessités, premièrement celle de poursuivre l’amélioration du système judiciaire et extrajudiciaire, notamment par son désengorgement et son efficacité, et surtout de renforcer la confiance du justiciable local ou étranger en ce système.
« Ceci étant dit, la mise en place des moyens pour acter cette politique judiciaire se heurte à une réalité et à un ressenti bien ancré, à savoir le manque de confiance dans les Institutions et les Hommes qui sont chargés de sa réalisation.
« Dans la même continuité, au-delà de la sensibilisation du public, demeure un manque en formation et de compréhension parfois des acteurs des MARL, qui autant dans l’offre que dans la reconnaissance sont encore insuffisants sur des évidences comme les règles d’indépendance et d’impartialité.
« Cependant, on a vu ces dernières années des initiatives concrètes voir le jour, par exemple la promotion des MARL dans le domaine de la propriété industrielle par l’OMPIC, la médiation au sein de la CFCIM et de la CCIS qui ont permis de préparer ce vaste chantier.
« Enfin, avec les réformes récentes et à venir, il faudra être attentif sur les difficultés majeures que connaissent les MARL sur la reconnaissance et l’exequatur des sentences arbitrales étrangères, et éviter les garde-fous parfois légitimes au vu de la nécessité de souveraineté nationale, mais qui entachent la souplesse et l’équité.
« On connaît encore aujourd’hui certaines dérives sur le coût des procédures, le non-respect de la confidentialité, la négligence du respect de la protection du consommateur et de la partie « faible » à lui imposer par exemple un arbitrage, comme on peut le voir en matière de contrats d’assurances ou dans la résolution des conflits du travail.
« Le gage de réussite passera par la rapidité des procédures, la mise en place d’un contrôle juridictionnel fiable et en phase dans sa structuration. »
Me Kawtar Jalal, avocate au barreau de Casablanca
Il est inconcevable que l’on soit devant la justice pendant dix ans pour exécuter une sentence arbitrale étrangère
« L’appel à la promotion des modes alternatifs de règlement des différends, notamment l’arbitrage, n’est pas anodin, car l’arbitrage est censé stimuler l’activité économique par l’investissement.
« Un potentiel investisseur sur le marché marocain s’enquerra, en premier, de la réglementation et de la pratique des tribunaux en matière de réception des sentences arbitrales internationales. C’est pourquoi je dis toujours que le principe de sécurité juridique est un principe garant pour l’investisseur, le confortant ainsi dans sa décision d’investir au Maroc.
« Aujourd’hui, le constat est le suivant : les sentences arbitrales rendues en arbitrage international ne sont pas toujours favorablement accueillies par les juridictions marocaines, sans parler de la lenteur du traitement. Pour exécuter une sentence arbitrale internationale, il faut passer par le tamis de la procédure d’exequatur, car l’arbitre a un pouvoir juridictionnel pour trancher mais ne dispose pas de l’imperium pour ordonner l’exécution.
« Aussi, les voies de recours dilatoires qui parfois aboutissent, pour diverses raisons, peuvent affaiblir la pratique de l’arbitrage et donc peuvent dissuader les investisseurs à venir s’installer au Maroc.
« Un exemple simple mais révélateur : une décision de cassation en date du 3 octobre 2022 pour une demande d’exequatur initiée en 2011 devant le président du tribunal de commerce de Casablanca. Je ne discute pas la motivation et ne prends pas de position sur l’issue du dossier. Mais il est inconcevable que l’on soit devant la justice pendant dix ans pour exécuter une sentence arbitrale étrangère.
« Il existe d’autres contentieux en matière d’arbitrage international dont l’exécution a connu plusieurs péripéties, et où l’ordonnance d’exequatur accordée par le président du tribunal de commerce de Casablanca a été annulée en appel.
« Il serait judicieux de sensibiliser et de former les juges sur la pratique de l’arbitrage international et sa spécificité d’une part, et combattre la formation des recours abusifs et dilatoires dans le but de mettre fin, voire diminuer les recours ayant pour objectif de retarder l’exécution des sentences arbitrales, en faisant notamment jouer la théorie de l’abus de droit, et condamner les initiateurs des procédures dilatoires à des amendes et des dommages et intérêts. »
Me Mahmoud Hassen, avocat aux barreaux de Paris et de Tunis
Il ne suffit pas de légiférer pour gagner le pari de la modernité et de la crédibilité des modes alternatifs de règlement des litiges
« Cet appel de Sa Majesté le Roi Mohammed VI succède à ses Hautes directives adressées à la Conférence de Marrakech consacrée à l’investissement (2019), et intervient à la suite de la promulgation du nouveau Code de l’arbitrage .
« Le message royal est clair : avec un nouveau code qui permet la réhabilitation de l’arbitrage, tous les acteurs concernés, économiques et judiciaires, sont appelés à œuvrer à consolider l’autonomie de l’arbitrage voulu par le législateur comme mode alternatif de résolution des différends, dans la transparence et le sens de la responsabilité.
« Avec un nouveau code qui tient compte des conventions internationales sur l’arbitrage ratifiées par le Royaume et de la jurisprudence comparée, sa mise en œuvre, par les institutions concernées, devrait contribuer à permettre au Maroc d’occuper la place qu’il mérite comme plate-forme régionale de l’arbitrage international, notamment sur le continent africain et dans le monde arabe.
« L’arbitrage est certes un outil d’attractivité pour l’investissement. Il permet le choix des arbitres à désigner par les parties, en raison de leur compétence et de leur crédibilité. Le recours à l’arbitrage permet une solution rapide des litiges et d’éviter la lenteur et les aléas d’un procès judiciaire.
« Ces considérations sont de nature à encourager les investisseurs à choisir le Maroc pour y investir davantage, et à choisir sa législation et ses institutions arbitrales, en cas de besoin, en se sentant rassurés.
Ainsi, encourager l’arbitrage et en réhabiliter la pratique est un vecteur essentiel pour le développement de ce mode de règlement des litiges.
« Au Maroc, l’arbitrage est appelé à relever le défi de la crédibilité, de la compétence et de la transparence. C’est ainsi que l’arbitrage pourrait concrétiser son autonomie recherchée par le législateur.
« La justice est appelée à accompagner l’arbitrage, tout en respectant son autonomie et en tenant compte des nouvelles approches propres à ce domaine spécifique, qui dérogent aux principes classiques du droit civil.
« La jurisprudence de la Haute cour marocaine est à la recherche d’une approche homogène, constructive et moderniste.
« A titre d’exemple, après avoir rappelé la primauté du règlement d’arbitrage d’une institution internationale choisie par les parties sur les dispositions du droit marocain (Cass com 1ère sect, arrêt n 308/1 du 19/05/2023), la Cour de cassation statuant en toutes chambres réunies vient, le 3 octobre 2022, de censurer un arrêt d’appel qui a étendu – comme l’a fait une jurisprudence comparée dans plusieurs pays – une clause compromissoire signée par une filiale à la société mère, au motif que celle-ci était la véritable contrainte. Une telle décision préoccupe les investisseurs nationaux et étrangers.
« La réhabilitation de l’arbitrage requiert de repenser la qualité de la formation des acteurs de l’arbitrage et des institutions judiciaires chargées de son accompagnement.
« Il ne suffit pas de légiférer pour gagner le pari de la modernité et de la crédibilité des modes alternatifs de règlement des litiges. »