Actions de masse : faut-il imiter les États-Unis ?

Actions de masse : faut-il imiter les États-Unis ?

Publié le : - Auteur : Le Figaro

 

Il peut paraître surprenant que la Chambre de commerce des États-Unis alerte les Européens des méfaits d’un «produit» made in USA : la class action (actions de masse) . Depuis plus de quarante ans, ce système de recours collectif permet à des individus d’intenter un procès au nom de tous ceux qui estiment avoir subi un préjudice similaire, parfois même, au nom de millions de consommateurs.
À l’origine, les entreprises, les consommateurs et les investisseurs ont salué ce concept comme le moyen de réduire les frais judiciaires et d’accélérer l’indemnisation des consommateurs ou des investisseurs.
On constate aujourd’hui les effets dévastateurs de ce système : les entreprises subissent des poursuites abusives qu’elles sont forcées de régler à l’amiable afin d’éviter des frais de justice exorbitants. Les consommateurs et les investisseurs bénéficient peu de ces procès, tandis que les avocats facturent des honoraires démesurés et lancent toujours plus de recours collectifs. À la suite du règlement d’une class action contre une entreprise américaine de locations de vidéos, les avocats ont touché 9,25 millions de dollars, et leurs clients seulement quelques bons de réduction.
Pis, il est arrivé que lors d’une class action intentée contre une banque américaine, les victimes remportent le procès mais perdent de l’argent ! Suite à cette transaction, les 700 000 «plaignants» n’ont reçu que quelques dollars. Un an plus tard, des sommes allant de 90 à 140 dollars ont été prélevées sur leur compte pour régler les honoraires de leurs avocats, soit 8,5 millions de dollars.
Les États-Unis ont réalisé les dangers de ce système et s’efforcent de l’améliorer. La loi de 2005, dite Class Action Fairness Act, vise à garantir que les class action s bénéficient en priorité aux victimes, plutôt qu’à leurs avocats.
À l’heure où les États-Unis ont mesuré les dangers des class actions, quel pays voudrait suivre le «modèle» américain, changer sa législation et s’exposer à de tels abus ? Aux États-Unis, le coût des litiges représente au total 2,1 % du PIB, soit quatre fois plus que dans le reste de l’OCDE. Quatre rapports publiés en 2007 sur la compétitivité des marchés financiers américains révèlent que la crainte d’une class action est un facteur dans la prise de décision des entreprises étrangères d’être cotées en Bourse ou de s’implanter aux États-Unis. Une étude du Financial Services Forum parue en 2007 montre que, depuis quatre ans, 90 % des entreprises ayant décidé de ne plus être cotées aux États-Unis l’ont fait notamment en raison de l’environnement juridique. Tout pays soucieux de son avenir économique devrait être conscient des effets nuisibles des class action s à long terme.
Pour ceux qui les défendent, tout cela n’a que peu d’importance, car ces abus seraient spécifiques au modèle américain. Selon eux, d’autres juridictions, comme celle du Québec, sont parvenues à éviter ces dérives. En réalité, la loi québécoise est plus sujette aux abus que le système américain : une procédure d’authentification moins rigoureuse reconnaît comme class action des cas qui ne seraient jamais acceptés aux États-Unis. Ainsi, il demeure impossible d’importer des bribes d’un modèle étranger sans hériter des problèmes inhérents à ce système.
Des solutions existent pour protéger les consommateurs et les investisseurs qui font l’économie d’une procédure judiciaire. La majorité des pays européens a des règles protégeant les droits des consommateurs dans de nombreux domaines. Les autorités publiques ou les médiateurs peuvent aussi aider les victimes à être indemnisées efficacement et à peu de frais. Le choix du procès devrait rester le dernier recours ; surtout, il convient de veiller à ce que le système existant n’encourage pas les abus de ceux qui ont des intérêts financiers à multiplier les class actions. Le Commissaire européen à la concurrence, Nelly Kroes, a présenté le 3 avril un livre blanc sur les actions en dommages et intérêts, qui prône le développement des recours collectifs en affirmant son souci d’éviter les dérives. Reste que son projet encourage de fait à ouvrir la boîte de Pandore des class actions en Europe, en judiciarisant des différends qui pourraient se résoudre hors des tribunaux et en conférant aux associations un rôle de procureur et, potentiellement, d’inquisiteur, qui n’est pas le leur.
L’Europe tirera-t-elle les leçons de l’expérience américaine ? L’avenir des entreprises, et de tous ceux employés, consommateurs, et actionnaires qui leur sont liés, dépend de la réponse que les Européens apporteront à cette question. Les États-Unis, ne serait-ce qu’en tant que vieil ami de l’Europe, se doivent d’avertir les Européens des dangers de ce «produit» made in USA.

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