Boudé par certains et attendus par d’autres, le fonds des avocats fait l’objet d’un recours en annulation devant la Cour d’appel de Casablanca.
Par Abdelali El Hourri (Médias 24)
Après la polémique, la joute judiciaire. A Casablanca, le fonds de solidarité des avocats atterrit devant les juges. Le premier président de la Cour d’appel a été saisi d’une demande visant à faire annuler les mécanismes retenus par le barreau pour financer ce « projet social ». Il s’agit de nouveaux prélèvements et de vignettes obligatoires visant les quelques 4.800 robes noires de la capitale économique.
Le barreau est-il en droit d’imposer ces mesures ? Statuant en chambre de conseil, la Cour est sollicitée sur cette question centrale. Le recours date du 3 novembre. Son auteur, Me Jihad Agouram, conteste la légalité de la décision annoncée le 23 septembre par le conseil de l’ordre.
Une décision que le requérant dit avoir découverte fortuitement, suite à la diffusion, le 26 octobre, d’une note sur une page Facebook attribuée au bâtonnier Me Tahar Mouafik. Avant le recours en annulation, ce dernier a été saisi de deux lettres exigeant des explications. Deux appels restés sans réponses.
La note en question annonce que, pour le financement du fonds, le barreau entend appliquer plusieurs vignettes sur un certains nombre de démarches diligentées par les avocats. Des paiements auxquels il faut aussi compter un prélèvement de 15% sur tout honoraire perçu par ces derniers dans des affaires où ils siègeraient comme arbitres.
Représenté par son confrère Me Hussein Benboufares, Me Agouram conteste la légalité de ces mesures. Car si la loi régissant la profession autorise le barreau à « créer et administrer des projets sociaux au profit de ses membres », « il ne peut les financer en faisant assumer aux avocats une quelconque charge financière », estime la défense du demandeur
Un argument que la requête appuie par une lecture constitutionnelle : les paiements dont il est question touchent au « régime des obligations civiles et commerciales, qui relève exclusivement du domaine législatif », poursuit la requête en référant à l’article 71 de la Constitution. Pour astreindre un avocat à cotiser pour le fonds, son barreau doit justifier d’un texte légal, qui n’existe pas en l’espèce.
Cette règle est confortée par la jurisprudence marocaine, riche et constante en la matière. Le requérant cite plusieurs arrêts dans ce sens, dont des décisions de la plus haute juridiction du Royaume. En 2001, la Cour suprême (ancêtre de la Cour de cassation) avait affirmé que « l’avocat ne peut renoncer à une partie de ses honoraires qu’en vertu d’un contrat consensuel ».
En 2012, deux arrêts de la Cour de cassation viendront confirmer l’interdiction « des prélèvements directs sur les honoraires des avocats sans leur accord ou leur autorisation ». Or, « imposer un régime des œuvres sociales le fait glisser d’un système consensuel et volontaire entre les adhérents – ce qui constitue sa fonction originelle – à un système fiscal, attribution exclusive au législateur », analyse l’auteur de la requête. La même jurisprudence évoque « la nullité de toute décision du barreau prise en dehors de ses attributions légales ».
S’il s’oppose au principe même de la contribution obligatoire, l’avocat s’attarde plus particulièrement sur les prélèvements visant les honoraires d’arbitrage. C’est qu’il exerce lui-même cette mission qui, précise-t-il, n’entre pas dans les fonctions inhérentes au métier d’avocat. En conséquence, il ajoute qu’il n’existe aucun lien entre les honoraires que l’avocat perçoit en sa qualité d’arbitre et l’exercice de son activité professionnelle qui est régie par la loi 28.08.
La suite relève du syllogisme : si le barreau n’est pas en droit d’imposer des prélèvements à l’avocat, « il ne peut non plus et en aucun cas étendre les prélèvements aux sommes que cet avocat perçoit en dehors de ses missions professionnelles ». Le contraire ouvrirait la voie à la taxation, par le barreau, d’autres revenus (revenus agricoles, bénéfices sur les valeurs mobilières, dividendes, conférences, vente d’ouvrages, etc.).
Du reste, l’avocat s’interroge sur les critères ayant fondé le choix du prélèvement à 15%. La demande fait ainsi le parallèle avec les décisions étatiques. Lorsqu’elles sont prises par « le pouvoir législatif ou exécutif », ce type de décisions prend préalablement en considération des « données sociales, économiques, sectorielles, environnementales et politiques ». Le tout, basé sur des « études actuarielles ».
L’avocat se permet une comparaison avec le régime proposé par l’État, laissant suggérer qu’il est plus intéressant pour un avocat d’y adhérer. En effet, le requérant rappelle que le prélèvement décidé par son barreau dépasse par « deux fois et demie » celui fixé par un décret 2019, venu en application de la loi relative au régime de l’assurance maladie obligatoire de base.
Dans sa partie consacrée aux travailleurs indépendants, ce texte astreint les professions libérales, dont les avocats, à régler une contribution annuelle de 6,37% basée sur un revenu forfaitaire.